CHAPITRE XXI - Le mystère est éclairci
Madame Girard fut stupéfaite en apprenant que Michel et François retournaient dans la lande avec les gendarmes.
« Mais ils sont morts de fatigue! protesta-t-elle. Et ils n'ont pas eu le temps de manger une bouchée. Ne pouvez-vous pas attendre un peu?
— J'ai peur que non, dit le brigadier. Ne vous tourmentez pas, madame Girard. Ces garçons sont solides !
— Les gitans ne retrouveront certainement pas les paquets, dit Michel. Pour ma part, j'ai l'estomac dans les talons. Nous n'avons pas dîné hier soir.
— Bien, dit le brigadier en enfermant son calepin dans sa poche. Déjeunez, nous partirons après. »
Claude, Annie et Paule voulurent être de l'expédition.
« Quoi? Nous laisser à l'écart? dit Claude indignée. Impossible! Annie viendra avec nous.
— Et Paule aussi, dit Annie les yeux fixés sur Claude; elle le mérite, bien qu'elle n'ait pas aidé à ramasser les paquets.
— Mais oui, bien sûr », dit Claude, et Paule eut un sourire rayonnant.
Claude admirait le courage que Paule avait montré pendant la nuit et elle lui savait gré de son attitude modeste. Paule ne songeait pas à se vanter; elle savait que tout l'honneur revenait à Pierre et qu'elle n'avait rien d'une héroïne.
Mme Girard se hâta de préparer un déjeuner copieux. Au café au lait habituel, elle ajouta des œufs sur le plat et de grosses tranches de jambon. Tout en servant les enfants, elle poussait des exclamations; les événements des dernières vingt-quatre heures lui paraissaient invraisemblables.
« Ces gitans! Et cet avion qui a lancé partout des billets de banque! Et Annie et Claude prisonnières dans un souterrain! Décidément on aura tout vu! »
M. Girard se joignit à la petite troupe. Il avait peine à croire, lui aussi, à l'aventure extraordinaire que ses quatre jeunes pensionnaires avaient vécue. Dagobert. portait haut sa tête ornée d'un magnifique pansement et jouissait d'avance de l'émerveillement de Flop.
L'expédition se composait de dix membres en comptant Dagobert, car Pierre en faisait également partie. Il essaya en vain de deviner où François avait caché les billets, mais François gardait son secret; il réservait une surprise à ses compagnons.
Ils arrivèrent enfin à la carrière après avoir suivi la voie ferrée. François s'arrêta avant d'y pénétrer et fit un geste vers la colline.
« Regardez… les gitans s'en vont, dit-il. Je parie qu'ils avaient peur que nous ne portions plainte après l'évasion de Claude et d'Annie. »
Les roulottes, en effet, s'éloignaient lentement.
« Constant, dès votre retour à la gendarmerie, vous donnerez l'ordre qu'on surveille les allées et venues des gitans, dit le brigadier. L'un d'eux sûrement ira raconter au chef de la bande ce qui s'est passé la nuit dernière; en le suivant, nous arrêterons tous les receleurs des billets faux.
— Je parie que c'est le père de Mario qui se charge de cette mission, dit Michel. Il avait l'air de tout diriger dans le campement. »
Ils suivirent des yeux les roulottes qui s'éloignaient une à une. Annie pensait à Mario. Claude aussi. Que lui avait-elle promis la nuit dernière en retour de son aide? Une bicyclette… et une maison où il habiterait et qu'il quitterait tous les matins sur son vélo pour aller à l'école comme les autres enfants. Elle ne reverrait probablement pas le petit garçon, mais si elle le revoyait, elle s'arrangerait pour tenir sa promesse!
« Où est donc cette cachette formidable? » demanda le brigadier à François qui essayait, sans y parvenir, de distinguer Mario et Flop.
« Suivez-moi », dit François en riant, et il les conduisit jusqu'au fourré d'ajoncs où se dissimulait la vieille locomotive.
« Qu'est-ce que c'est que ça? demanda le brigadier stupéfait.
— C'est la vieille locomotive qui traînait les wagons pleins de sable, dit Michel. Selon toute apparence, une querelle s'est élevée, il y a bien longtemps, entre les propriétaires de la carrière et les gitans. Ceux-ci ont arraché les rails; le petit convoi a déraillé. La locomotive est là depuis, autant que je puisse en juger. »
Sous les yeux ébahis du brigadier, François se dirigea vers la cheminée, écarta une branche d'ajonc, déblaya quelques poignées de sable et tira un des paquets. Son soulagement fut grand, car il avait peur de ne pas les retrouver.
« Voilà, dit-il au brigadier. Il y en a d'autres. Dans deux minutes, j'arriverai à celui que j'ai ouvert… Oui, le voici. »
Les gendarmes félicitèrent les garçons du choix de leur cachette.
Personne, pas même les gitans, n'aurait pensé à inspecter la cheminée de cette vieille locomotive, même si on l'avait aperçue, cachée comme' elle l’était!
Le brigadier regarda les billets de cent dollars qu'il avait dans la main et siffla.
« C'est bien cela! Nous en avons déjà vu. L'imitation est parfaite. Que de dupes auraient pu faire ces bandits! Combien de paquets avez-vous ramassés?
— Des douzaines, répondit Michel, qui les sortait à mesure de la cheminée. Je ne peux pas atteindre ceux qui sont au fond.
— Tant pis! dit le brigadier. Recouvrez-les de sable; j'enverrai un de mes hommes chercher le reste. Les gitans ne reviendront sûrement pas. C'est un coup de filet extraordinaire. Vous nous avez rendu un grand service.
— J’en suis heureux, dit François. Nous allons prendre nos affaires. Hier nous sommes partis précipitamment et nous avons laissé nos tentes et tout le reste »
Claude raccompagna dans la carrière. Dagobert, qui trottait près d'elle, se mit à grogner et Claude le retint par son collier.
« Qu’as-tu, Dago? François, il y a sûrement quelqu'un ici. Peut-être un des gitans. »
Mais Dagobert cessait de grogner et remuait la queue. Il échappa à Claude et courut vers une des petites grottes. Son pansement le rendait très comique.
Flop sortit de la grotte et dès qu'il aperçut son ami, il se mit à faire des cabrioles. Dagobert le contemplait avec étonnement. Drôle de chien! Est- ce qu'il n'allait pas marcher sur la tête?
« Mario! cria Claude. Sors. Je sais que tu es là! »
Un visage pâle et inquiet parut à l'entrée de la grotte. Quelques minutes plus tard, le petit garçon, tremblant de peur, était debout dans la carrière.
« Je me suis sauvé; je les ai quittés, dit-il avec un geste en direction de la colline. Vous m'aviez promis une bicyclette, ajouta-t-il en reniflant.
— Je le sais, dit Claude. Tu l'auras, Mario. Si tu n'avais pas laissé ces signes de piste dans le souterrain, nous n'aurions pas pu nous échapper.
— Et vous avez dit que je pourrais habiter une maison et aller tous les jours à l'école sur mon vélo, continua Mario d'un ton suppliant. Je ne veux pas retourner dans ma roulotte. Mon père me tuerait. Il a vu les signes de piste et il m'a poursuivi très loin. Mais il ne m'a pas attrapé. Je me suis caché.
— Nous ferons tout ce que nous pourrons pour toi », promit François qui avait pitié de ce pauvre enfant. Mario renifla.
« Où est ton mouchoir? » demanda Claude.
Il le sortit de sa poche, toujours propre et bien plié.
« Tu es incorrigible, dit Claude. Ecoute, si tu veux aller à l'école, il faudra que tu cesses de renifler et que tu te serves de ton mouchoir. Tu as compris? »
Mario hocha la tête, mais remit le mouchoir dans sa poche. Le brigadier s'approcha et le petit gitan s'enfuit.
« C'est un drôle de petit bonhomme, dit François. J'imagine que son père ira en prison et qu'il pourra réaliser son rêve : quitter la roulotte pour une maison. Nous pourrions le mettre en pension dans une famille qui le soignerait bien.
— Je tiendrai ma promesse et je retirerai de l'argent de la Caisse d'Epargne pour lui acheter une bicyclette, dit Claude. Il le mérite. Ob! regardez Flop en admiration devant Dagobert et son pansement. Ne te rengorge pas tant, Dago; tu es beaucoup moins beau que d'habitude, tu sais!
— Mario! cria François. Reviens. N'aie pas peur du gendarme. C'est un de nos amis, il nous aidera à choisir ta bicyclette. »
Le gendarme manifesta un vif étonnement, mais Mario revint en courant.
« Je m'en retourne, dit le brigadier. Constant est déjà parti pour ordonner qu'on surveille les gitans. Nous ne tarderons pas à arrêter le chef de la bande.
— J'espère que Constant a suivi la voie ferrée, dit François. Il est si facile de s'égarer dans cette lande.
— Oui, bien sûr; mais il sait ce qui vous est arrivé la nuit dernière et il sera prudent, répliqua le brigadier. Vous aviez bien choisi votre endroit pour camper. Quel calme! C'est délicieux !
— Oui, et pourtant c'est le cadre de plusieurs mystères, remarqua François. Des anciens et des nouveaux. Je me réjouis d'avoir joué un rôle dans celui-ci. C'était tout à fait palpitant. »
Les enfants retournèrent à la ferme. Midi approchait et le grand air leur avait ouvert l'appétit. Une odeur alléchante les accueillit. Mme Girard avait préparé un excellent déjeuner. Les filles montèrent dans leurs chambres pour faire un brin de toilette. Claude entra dans celle de Paule.
« Paule, dit-elle. Je te suis très reconnaissante. Tu vaux bien un garçon.
— Merci, Claude, répliqua Paule surprise. Et toi, tu en vaux au moins deux! »
Michel, qui était dans le couloir, les entendit. Il se mit à rire et passa la tête à la porte.
« Je voudrais avoir ma part de ces compliments, dit-il. Dites-moi que je vaux plusieurs filles. »
Une brosse et un soulier lui furent jetés à la tête et il s'enfuit en riant.
Annie se pencha à la fenêtre de sa chambre pour contempler la lande. Comme elle paraissait sereine et paisible sous le soleil d'avril! Elle ne cachait plus aucun mystère, maintenant.
« Tout de même, tu portes bien ton nom, lui dit Annie. Tu as été témoin de beaucoup de mystères… et on aurait dit que tu nous attendais pour jouer un rôle dans le dernier. Quelle aventure passionnante! Je crois que nous l'appellerons « La Locomotive du Club des Cinq ».
— C'est un nom bien choisi, Annie, et nous n'en chercherons pas d'autre! »